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dégustation domaine

A la vida s’han de tenir somnis, i s’hi ha de creure

Traduction depuis le catalan: Dans la vie, il faut avoir des rêves et y croire. C’est la devise du Mas d’En Gil, Domaine-phare en Priorat.

Allez, on commence avec un peu de nostalgie. Il y a 20 ans, voire un peu plus, je découvrais avec stupéfaction les vins issus du Priorat, petite région catalane isolée, battue par les vents et dominée géologiquement par un schiste local appelé llicorella. Une dégustation en mars 2001 me donnait l’occasion de partager les millésimes 1996, 1997 et 1998 de Cims de Porrera. Des vins extrêmement puissants, concentrés, portés par le souffle du Priorat mais aussi par un boisé qui ne se cachait pas. Les notes attribuées à ces trois vins furent dithyrambiques, respectivement 17,9 17,3 et 17,8.

Les choses ont bien changé depuis. Enfin, le Priorat a changé et mon goût a changé. Les vins qui tentent de s’imposer en jouant des coudes à coup d’extraction, de boisé, d’alcool, non merci. Cette performance me paraît vaine. C’est une course vers toujours plus qui ne débouche sur pas grand-chose parce que demain, un autre vin sera encore plus extrait, encore plus boisé et encore plus en riche en alcool.

Vall del Bellmunt

L’équilibre parfait. Voilà qui est plus difficile à atteindre, plus subtil et sans doute plus subjectif. L’équilibre parfait est par nature très fragile: le funambule en sait quelque chose. C’est le reflet d’un instant magique. Les mots ne suffisent pas. Parfois, une petite larme s’invite et le temps s’arrête. L’agitation et le vacarme s’estompent, on perd légèrement le nord. Cela n’arrive pas souvent.

Mais cela m’est incontestablement arrivé pendant une dégustation des vins du Mas d’En Gil début octobre. A commencer par deux blancs atypiques: Bellmunt 2021 et Coma Alta 2017: les deux vins sont construits sur la verticalité et un usage anecdotique de la puissance alcoolique. Bellmunt pousse sur du buntsandstein et Coma Alta sur du calcaire. Non, pas de schiste ici. Le style des vins pourrait évoquer Le Roc des Anges de Marjorie Gallet (je connais la polémique, mais c’est une autre histoire). Cela commence donc fort avec deux blancs qui rompent complètement avec la tradition locale. La minéralité de Coma Alta est magnifique et rare dans un vin élaboré avec 100% de grenache blanc.

Voici venu le temps de la gamme des vins rouges. Bellmunt 2018 (grenache 65%, carignan 30%, cabernet sauvignon), vignes de 25 ans sur llicorella est irrésistible. Oui, cela pèse 14,5% d’alcool; oui, c’est élevé sous bois pendant 10 mois (contenants de 1.500 litres et de 3.000 litres). Et pourtant, c’est frais et très peu marqué par l’élevage. Succulent, structuré, superbe.

Marta Rovira

On passe ensuite à Coma Vella 2016, qui pourrait être le premier cru du Domaine: grenache 70%, carignan 20%, syrah, sur llicorella. Elevage sous bois (1.500 litres et 225 litres), avec 20% de neuf. Deux ans d’élevage en bouteilles. Vignes d’âge variable entre 25 et 60 ans. Il est probable que la syrah finisse par disparaître de l’assemblage, le processus est en cours pour se concentrer exclusivement sur le duo grenache/carignan. Ce vin m’a ébouriffé, ému, étonné. Fruit et minéralité. Passionnant de le déguster en compagnie de Marta Rovira (la vigneronne) et d’Olivier Fonteyne, sommelier belge, mari de Marta. La conversation se déroule dans un mélange inédit de langues, entre néerlandais et catalan, entre français et anglais.

On finit par Clos Fontà 2016, qui pourrait être le grand cru du Domaine. Grenache et carignan. Vignes d’âge variable entre 45 et 85 ans, sur llicorella. Elevage en barriques de 225 litres (30% bois neuf). On pourrait craindre la grande cuvée qui cumule toutes les ambitions de faire encore et encore plus. Remember Cims de Porrera. Eh bien non. Le boisé ne joue aromatiquement aucun rôle. Le liquide est d’une grande fluidité, d’un naturel confondant. C’est très concentré et pourtant très élégant. Quelle qualité de tannins ! Ô toi lecteur qui connaît un peu mes goûts, on arrive au paradis, le paradis où l’intensité rejoint la délicatesse. le paradis où le lieu transcende les cépages. L’équilibre parfait, le funambule.

PS: 15% d’alcool pour Coma Vella comme pour Clos Fontà. Je ne retire rien à mes commentaires mettant en exergue élégance et délicatesse.

Coma Vella 2016 est en dégustation le samedi 03 décembre.

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domaine rouge

Le Pas des Anges

Difficile de départager les duellistes. Ce Roussillon-Languedoc restera dans les annales mais il se conclut par un match nul. Le carignan n’a pas terrassé le cinsault. Et vice-versa.

A priori, deux cépages aux caractéristiques si différentes. L’énergie brutale du carignan, comme un cheval qui refuse le dresseur. La finesse, voire la délicatesse du cinsault, comme un cousin méridional du pinot noir.

cinsault à gauche, carignan à droite

Et pourtant, les cépages ne sont ici que des outils pour transmettre à l’heureux dégustateur les caractéristiques d’un lieu, les caprices d’un millésime et la vision de deux couples de vignerons inspirés.

Quand on compare, on a tendance à mettre en évidence les différences. Parfois, ce sont les ressemblances qui m’interpellent. Ces deux vins ont en commun une texture hautement civilisée, polie et soyeuse. Ce sont, l’un comme l’autre, les Nouveaux Classiques. Des vins du Sud qui s’assument comme tels sans que ni alcool ni élevage ne perturbent leurs équilibres hauts.

Reliefs 2015 du Roc des Anges est concentré, sérieux et séveux. Intense ? Yes ! Équilibré ? Yes ! Persistant ? Yes ! La démonstration du formidable potentiel des vieux carignans. En l’occurrence, les vignes ont été plantées entre 1911 et 1944…

Ze Cinsault 2018 du Pas de l’Escalette est zouple, zéduisant, zouriant, zensuel et zavoureux. Oui, on perçoit une certaine chaleur, elle enveloppe le palais dans une douceur harmonieuse, veloutée, sans fatigue. La dégustation est décidément un voyage…

Je voudrais vraiment partager ces deux belles bouteilles autour du bar, à la maison. Les commentaires des uns enrichiraient les perceptions des autres. On se battrait gentiment pour savoir si l’une ne mérite pas un demi-point de plus que l’autre. Puis on changerait d’avis à la seconde gorgée. Les circonstances décident que cela n’aura pas lieu.

Le Roc des Anges, Reliefs 2015, IGP Côtes Catalanes, 13.0%, bio et biodynamique (Biodyvin) – € 22,50

Le Pas de l’Escalette, Ze Cinsault 2018, IGP Hérault, 14.5%, bio et biodynamique (Biodyvin) – € 23,50

Marjorie Gallet, Le Roc des Anges

PS: je connais les commentaires d’experts qui évoquent la radicalité stylistique du Roc des Anges et qui se demandent si la beauté diaphane ne tourne pas à la maigreur rachitique. Je concède volontiers que les vins blancs du Domaine peuvent surprendre, voire ne pas plaire, vu leur étonnante septentrionalité. Par contre, ce Reliefs 2015 est radicalement impossible à cataloguer sous la rubrique “tannins pas mûrs”, sauf à faire preuve d’une solide dose de mauvaise foi.