Intéressante infographie qui détaille quelles sont les régions espagnoles qui produisent le plus/le moins de vin. En me concentrant sur les chiffres relatifs, la Castille-La-Mancha représente presque 60% de la production. Le podium est complété -à grande distance- par l’Estrémadure (7%) et la Communauté de Valence (6%).
Les régions qui parlent particulièrement aux amateurs, comme la Rioja, la Catalogne, la Castille-Y-Leon, la Galice et l’Andalousie (Jerez/sherry) représentent ensemble à peine 19% de la production en volume. Les îles (Baléares et Canaries) ne représentent quasi rien.
58% de raisins blancs (sans doute expliqués par l’airen, planté massivement en Castille-La-Mancha) pour 42% de raisins rouges. Je ne m’y attendais pas. Comme quoi, il y a un sacré écart entre ce que nous buvons et ce qui est produit !
PS: merci à Hervé Lalau qui vient de publier cette infographie sur le blog “Les 5 du Vin”.
Bierzo à gauche, Bierzo à droite… tout est dans la nuance !
Voici un cépage fortement local et une appellation de plus en plus médiatisée. Nous sommes aux confins de la Castille Y Leon et de la Galice, côté castillan. Le nord-ouest de l’Espagne, loin des flux touristiques et des plages méditerranéennes. En zone verte du point de vue du SPF Affaires Etrangères, du moins à l’heure à laquelle j’ai vérifié…
Je me plonge à l’instant dans un ouvrage certes recommandable, mais publié lors d’un siècle révolu. Donc, en 1998, Hugh Johnson écrit: El Bierzo, région du nord de Leon, délimitée en 1990. Voilà, c’est tout. Quant au cépage mencia, entre malbec et merlot, il n’y a rien, nada. Un peu plus récemment (guide publié en 2005), José Peñin indique que Bierzo compte 45 Domaines, pour une production de 50.000 hectolitres de vin, destinée à 94% à une consommation locale, hispano-espagnole. Bref, pas de quoi fouetter un gato.
Le temps s’écoule. J’en reviens à des lectures contemporaines. En 2020, le même José Peñin compte 77 Domaines en Bierzo, plus de 80.000 hectolitres produits et surtout 37% de vins exportés. Les exportations ont donc été multipliées par 10 en quinze ans. Hugh Johnson écrit à présent: Bierzo, mencia grapes on slate soil make crunchy Pinot-like red. Best sites are high altitude, made without much oak. Styles/quality are uneven. Best advice: follow the producer. Look for DESCENDIENTES DE J. PALACIOS, RAUL PEREZ, plus Dominio de Tares, Losada (…).
Il s’est manifestement passé quelque chose. Retenez en particulier le nom de Raul Perez, j’y reviens un peu plus bas.
Quelques mots d’abord au sujet de la mencia (avec l’accent tonique sur le i), cépage de Castille, sans doute originaire de la région de Salamanque et que l’on retrouve également au Portugal, sous le nom de Jaen. A vrai dire, ce raisin méconnu et mystérieux a été associé au cabernet franc, au pinot noir, parfois même au grenache. Quod non. Les études ampélographiques les plus récentes excluent toutes ces possibles parentés, vu que les ADN respectifs n’ont rien à voir les uns avec les autres.
Outre Bierzo, la mencia pointe le bout de son sarment en Galice toute proche (appellations Ribeira Sacra, Valdeorras, Monterrei) et en Dão, du côté lusitanien. Ce n’est pas un raisin facile: le vigneron a tout intérêt à être attentif pour vendanger au moment exact qui permettra d’équilibrer alcool et acidité, les vieilles vignes se chargeant quant à elles de limiter naturellement les rendements.
Qu’est ce qui est supérieur à une mencia de Bierzo ? Deux mencia de Bierzo. La comparaison est rendue aussi pertinente que possible: même millésime (2018) et même degré alcoolique (13,5%). Les similarités l’emportent sur les différences: tout est dans la nuance.
Pour commencer, voici la mencia du Domaine Maquina & Tabla. Autant le dire toute de suite: c’est un vinnature. Pour rappel, cette caractéristique n’est ni une raison pour le verser à l’égout en hurlant d’horreur, ni une raison pour lui ériger une statue, en entonnant un cantique. C’est juste une absence de sulfite ajouté.
Les lecteurs attentifs se souviendront que j’ai déjà fait goûter d’autres cuvées du même Domaine en février. Le fait est que les vins sont en général du type rock’n’roll en do majeur, ce qui constitue par la même occasion une mise en garde et une invitation à les goûter avant tout achat massif.
Oriol Illa et SusanaPastor sont toujours oenologues et toujours catalans. Ils se sont exilés à l’autre bout de l’Espagne dès 2012 pour y rechercher des vignobles particulièrement anciens, qu’ils louent à des dames âgées, parmi lesquelles une certaine Leonila. La cuvée s’appelle Laderas de Leonila, en français “Les coteaux de Leonila”. On pratique la biodynamie, mais les étiquettes -au demeurant très personnelles- n’en pipent mot.
Laderas: la dégustation
Couleur dense et jeune, reflets violacés. Nez sur la cerise et le cacao. Nuance d’encens. Bouche peu tannique, nordiste et atlantique, évoquant le cabernet franc. Vin sérieux et frais. Moins rock’n’roll que les autres cuvées du Domaine. Plus on goûte, plus l’élégance prend le dessus sur une légère rusticité initiale. Beaucoup d’énergie. La vinification “nature” me paraît indétectable.
Maquina & Tabla, Bierzo, Laderas de Leonila 2018 – magasin
Revenons-en à Raul Perez. Né en 1972, tout petit déjà, il batifole dans les vignobles familiaux, en en temps où les vins n’étaient même pas mis en bouteilles. Doté d’un cerveau de belle facture, il envisage de faire des études de médecine, mais, sous une légère pression familiale, il entame plutôt des études d’œnologie et les réussit. Revenu au Domaine, il met en oeuvre progressivement une série de changements puis bénéficie des conseils d’Alvaro Palacios, l’homme qui a fait sortir Bierzo de l’anonymat.
Raul Perez en version sauvage
Mais Raul ne copie pas le “style Palacios”, il développe le sien, à base d’une dose magistrale d’intuition. Il travaille en biodynamie (sans mention sur les étiquettes). Ses vins sont remarqués, en Espagne, puis partout sur la planète. Il est invité à conseiller une belle série de Domaines, en Espagne et ailleurs. Ses cuvées haut-de-gamme accumulent les récompenses. En mars 2019, le magazine anglais Decanter pose la question qui tue: Is Raul Perez the world’s best winemaker ? Sacré parcours…
Bien sûr, les cuvées haut-de-gamme se négocient à des tarifs proportionnels à la rareté des flacons et à la notoriété de leur géniteur, néanmoins sans excès risible: comptez € 50 à € 60, tarif chez l’importateur en Belgique. Mais il y a une excellente nouvelle portant le joli nom de Ultreia Saint-Jacques. 100% mencia, 100% millésime 2018, 100% Raul Perez, proposée à un tarif particulièrement attractif.
Ultreia est une interjection moyenâgeuse qui exprime la joie, en particulier pendant le pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle.
Ultreia: la dégustation
Couleur dense et jeune, reflets violacés. Nez sur la cerise et le cacao. Ce qui précède n’est pas une coquille, mais l’expression d’un air de famille très marqué entre les deux cuvées. Néanmoins, autant j’évoque la fraîcheur et le caractère septentrional/atlantique de Laderas, autant je souligne chez Ultreia un tempérament légèrement plus sudiste, plus rond, plus fondu. Belle densité, texture policée. Quelque chose qui pourrait rappeler le pinot noir. Classicisme et équilibre. Le recours au bois est peu impactant (8 mois en grands foudres).
Javier Sanz est un spécialiste reconnu du vin blanc castillan, en particulier celui qui est élaboré avec les cépages viura, sauvignon et verdejo, sous appellation Rueda. Il est propriétaire d’une parcelle (2,27 hectares) de verdejo pré-phylloxérique, la cuvée portant le nom révélateur de “1863”, vignes de plus de 150 ans !
Cela ne le prédestine pas à se muer en sauveur d’un cépage rouge, en voie d’extinction en Espagne, le bruñal. Et pourtant !
Quelques recherches ampélographiques plus tard (en période de confinement, qu’il est agréable de fourrer son nez dans de précieux grimoires, fussent-ils digitaux), la lumière m’apparaît soudain: certes, le bruñal a presque disparu du territoire espagnol, mais il est bien connu de l’autre côté de la frontière portugaise, sous le petit nom d’alfrocheiro. Çà nous fait une belle jambe !
Javier Sanz
Dans le verre, le vin est riche en couleurs et en parfums: c’est bourré de fruits rouges et appétissant en diable. La bouche pourrait évoquer un beau et bon gamay croquant, dans un style peu habituel dans cette région d’Espagne, au climat féroce. C’est tout sauf un monstre de puissance et l’alcool est joliment maîtrisé (12,5%). Milieu de bouche énergique et savoureux, finale légèrement tannique. Autant dire que la bouteille y passe en moins de minutes qu’il ne faut pour l’écrire.
C’est à la fois original et susceptible de surprendre ceux et celles qui ont a priori peu d’affinités avec l’Hispanie. Le vin passe dans le chêne pendant 4 mois, mais c’est très judicieusement dosé pour oxygéner le jus sans boiser la bouche. Cela peut se garder encore quelques années, mais franchement pourquoi attendre ?
Acheté à l’automne 2018, pour un peu plus que € 12. Ravi d’en avoir encore en cave !
Je me revois en décembre, dégustant une série de vins espagnols en prenant des notes pour déterminer progressivement ma sélection.
Soudain, devant moi, une table un peu isolée derrière laquelle un jeune homme semble se sentir un peu seul. Il représente Màquina & Tabla, propriété de moi jusqu’alors inconnue.
Une fois la conversation entamée, il se révèle volubile et enthousiaste : il titille ma curiosité ! Convenons, pour la facilité, que ce jeune homme s’appelle Pedro.
Nous sommes dans le nord de la Castille. Le projet a démarré en 2013. Les géniteurs de Màquina & Tabla, Oriol et Susana, sont catalans et, à première vue, sains d’esprit. Quoique. Oriol aurait l’habitude de se décrire comme un oenopathe. Curiosité à nouveau titillée.
Je me rends compte que les différents vignobles cultivés par le duo se trouvent fort loin les uns des autres : Toro, Bierzo, Rueda et Sierra de Gredos. Les parcelles sont en fait louées à leurs propriétaires respectifs.
Avec Pedro, nous évoquons, dans le désordre, vignobles complantés, vignes franches de pied et/ou centenaires, élevage sous flor, rendements minuscules, faible dosage du soufre, vinifications nature, appellations ou pas d’appellation du tout, géographie liquide, étiquettes déconcertantes et un goût certain pour les coups de pied dans la fourmilière.
…Pedro, il faut goûter maintenant !
Le blanc Laderas de Leonila 2018 est en appellation Bierzo. Laderas se traduit par « coteaux » et Leonila est un vieux prénom espagnol, inusité aujourd’hui, mais porté par une grand-mère du propriétaire de la parcelle.
Ces « coteaux de mémé » sont issus de palomino (cépage habituellement associé au sherry et à l’Andalousie), de doña blanca (cépage d’origine portugaise) et de godello (que l’on croise surtout en Galice).
C’est la production d’un petit vignoble (2 hectares), complanté de vignes âgées de 20 à 80 ans. La récolte est manuelle, la fermentation et l’élevage se font en barriques françaises. Alcool : 12,5%
Salinité, finesse, délicatesse, nuances oxydatives, j’avoue être aussi dérouté que séduit. J’ai peu de repères, je quitte ma zone de confort, mais il y a une originalité telle que ce serait dommage de passer à côté. Et beaucoup d’énergie, de vitalité.
L’autre blanc, c’est Pàramos de Nicosia, non-millésimé mais provenant néanmoins à 100% de la récolte 2018. Pàramos se traduit par friche ou plateau stérile. Quant à Nicosia, c’est un vieux prénom espagnol etc…voir plus haut.
Après les « coteaux de mémé », voici le « plateau stérile de l’autre mémé ». Mazette.
Ce blanc est un assemblage de verdejo et de malvasia, issu de la parcelle dénommée El Pinar (ça ne s’invente pas !), à 700 mètres d’altitude. On est sur le territoire qui correspond à l’appellation Rueda, mais le vin est commercialisé comme un simple vino de mesa (vin de table).
Vignes de 50 à 60 ans. 12 heures de macération avant fermentation, évoquant le vin orange. Alcool : 13%
Enfin, le rouge Pàramios de Nicosia 2017 est un assemblage de grenache et de tinta del pais (nom local du tempranillo), en appellation vino de la tierra de Castilla y Leon. Il provient du territoire qui correspond à l’appellation Toro, sans ressembler le moins du monde au Toro comme on le connait habituellement (très sombre, très boisé, très puissant, très parkérisé). Alcool : 14,5%
Ce n’est pas un vin nature, mais on s’en rapproche beaucoup ! Vin non-filtré, avec une forte acidité pour équilibrer la puissance alcoolique.
Remarque importante : à dire vrai, je ne suis certain d’à peu près rien de ce qui précède. Entre l’information glanée auprès de Pedro, les étiquettes des différents flacons et les éléments contradictoires que l’on trouve sur le web, … bonne chance !
Si vous aimez les surprises, allez-y les yeux fermés, cela ne laissera personne indifférent. Dans le cas contraire, je conseille vivement la dégustation avant un éventuel achat.
Les étiquettes vous intriguent ? N’hésitez pas à parcourir le site Internet de leur créateur, en cliquant ici.