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Des rouges d’exceptionnelle finesse

Vous avez aimé Leirana, albariño de Galice ? Alors permettez-moi de vous présenter le projet Castro Candaz, créé en 2014 par le même duo que Leirana: Raul Perez et Rodri Mendez. Nous sommes toujours en Galice, mais à l’intérieur des terres, bien loin de l’océan. Et la spécialité ici, ce sont les vins rouges, élaborés avec le cépage mencia.

Quelques mots au sujet du nom du Domaine. Candaz Castro, ce sont d’abord les vestiges d’une ville celtique, romaine puis médiévale. C’est d’autant plus spectaculaire que les ruines se situent sur un promontoire dans la rivière Miño, à un endroit où cette rivière ressemble plutôt à un lac allongé. Il est bien possible que les pierres utilisées pour construire les terrasses dans le vignoble tout proche aient été prélevées dans le château ruiné.

L’appellation, c’est Ribeira Sacra. Rivage sacré en français (en violet sur la carte ci-dessous). Pensez au Rhône entre Vienne et Valence, au Douro jusqu’à Porto ou à la Moselle allemande: des vignobles qui doivent beaucoup à la rivière qui les traverse. Ici, nous avons droit à deux rivières: l’affluent Rio Sil au sud et le fleuve Rio Miño …au nord. Ce Rio Miño finira par se jeter dans l’Atlantique après avoir formé la frontière naturelle entre l’Espagne et le Portugal.

La mencia domine l’encépagement. Ce cépage, encore peu connu en dehors de la Galice et de la Castille toute proche il y a vingt ans, incarne aujourd’hui un type de vin rouge original, bien différent de ce qui se produit dans la Rioja, en Catalogne et dans toutes les régions sous l’influence de la Méditerranée. Ici, c’est la fraîcheur et l’énergie qui signent les vins, du moins ceux élaborés par les meilleurs vignerons.

En Castille (appellation Bierzo), la mencia peut se montrer difficile à déguster jeune en raison de tannins assez massifs. Les vins ont besoin de temps pour se fondre. En Galice (appellation Ribeira Sacra), ces tannins sont moins présents, alors que la finesse des meilleurs vins est évidente. Très difficile de “traduire” la mencia en un cépage mieux connu dans nos contrées francocentrées: la littérature évoque la syrah, le cabernet franc et le pinot noir. Et je me permets d’y rajouter le grenache…

Raul Perez et Rodri Mendez, jamais à court d’idées, ont cherché des vignes de mencia du côté de Chantada pour vérifier ce qu’ils pouvaient en faire. Le projet Castro Candaz se décline sous la forme de trois vins rouges et d’un vin blanc (cépage Godello). Concentrons-nous sur les rouges: il y a d’abord un vin de type “joven” -en 100% mencia- avec très peu d’élevage, ensuite une cuvée qui assemble les raisins en provenance de 5 parcelles de vieilles vignes, avec un élevage sous bois (grands contenants, pas de bois neuf) et enfin une cuvée parcellaire, avec le même élevage.

En dégustation, le “joven” (NB: ce terme ne figure pas sur l’étiquette, je l’utilise pour faciliter la communication) commence par un nez terreux et minéral avant que le fruit ne prenne le relais. La bouche est superbe, énergique, assez concentrée, avec de bons petits tannins. Il y a de la matière, mais assez peu de puissance alcoolique (13%). Ma comparaison préférée et subjective: un Loire de cabernet franc, bien mûr et enjôleur.

La cuvée d’assemblage s’appelle Finca El Curvado. C’est à la fois un assemblage de cinq parcelles, mais également un assemblage de plusieurs cépages (les vieilles parcelles sont très souvent complantées): mencia en très large majorité, avec merenzao (mieux connu sous d’autres noms: bastardo et trousseau) et alicante bouschet (oui, oui, c’est bien le cépage teinturier que l’on trouve encore dans quelques coins obscurs du Languedoc). Le nez est profond, avec un joli floral. A l’aveugle, on sera tenté parfois d’évoquer le pinot noir, parfois la syrah. La bouche est fraîche et épicée, précise et énergique. Malgré quelques tannins d’excellente facture, j’ai envie d’utiliser le terme “aérien” que je réserve en général aux meilleurs rieslings allemands. Grand vin.

La cuvée parcellaire s’appelle A Boca do Demo. Une unique parcelle, en grande majorité mencia, avec un peu de merenzao. Une expérience étonnante. Le nez évoque pour moi quelque chose entre pinot noir et grenache. La bouche est très délicate, difficile de reconnaître le cépage. Vin à la fois très intense et très léger. Finesse exceptionnelle, grand vin.

Castro Candaz “joven” et Finca El Curvado sont disponibles dans le magasin. En dégustation ce samedi 23 octobre.

A Boca do Demo sur demande uniquement et sans aucune garantie de disponibilité.

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La fraîcheur de l’océan

Hier soir, une bouteille peu commune: Gorvia 2006 rouge, Quinta da Muradella (Galice = Espagne du nord-ouest). Flacon très (trop) lourd. Bouchon impeccable. Acheté en 2010 (€ 27).

Nez très parfumé: floral, fraise et framboise. Dans le fond, quelques notes terreuses. Bouche majeure: acidité marquée, tannins fondus, alcool peu perceptible (malgré 14%), beaucoup de profondeur et de distinction. Typiquement le rouge ‘océanique’, même si l’Atlantique, à vol de mouette, se situe à plus de 100 kilomètres. J’ai servi le vin un peu frais: il prend de la puissance dans le verre, en se réchauffant lentement. Profil encore jeune, peu en rapport avec un confinement de 10 ans+ dans la bouteille. M’évoque les meilleurs rouges de Loire, via la proximité avec le cabernet franc. Et autant avec le pinot noir !

L’appellation, c’est Monterrei, sise là où Espagne et Portugal s’enlacent. La frontière portugaise n’est distante que de 17 kilomètres. On ferait du vin ici depuis l’époque romaine.

Le château de Monterrei veille sur les vignes.

Cépages: mencia, bastardo, caiño redondo en proportions inconnues. La mencia (avec l’accent tonique sur le ‘i’) est LE cépage rouge emblématique de la Galice et de l’extrême nord-ouest de la Castille (appellation Bierzo). Le bastardo est le nom local du …trousseau jurassien ! Autre synonyme: merenzao. Quant au caiño redondo, c’est un cépage obscur, possiblement apparenté à un vieux cépage du Sud-Ouest, le camaraou noir. Bien étudier ceci par cœur, c’est une possible question d’examen…

Information au sujet du Domaine: je lis que tout est certifié bio depuis 2005. Projet initié en 1991 par José Luis Mateo, avec la volonté de remettre à l’honneur les cépages locaux. Rencontre avec Raul Perez en 2000 (Raul Perez est vraiment partout …y compris dans le magasin d’Anthocyane, avec la cuvée Ultreia Saint-Jacques). Domaine de 24 hectares, sur 34 parcelles différentes. Géologie entre schistes et granit, sables et argile (rien que ça). Altitude des vignobles: entre 360 et 900 mètres.

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La mencia de Bierzo

Bierzo à gauche, Bierzo à droite… tout est dans la nuance !

Voici un cépage fortement local et une appellation de plus en plus médiatisée. Nous sommes aux confins de la Castille Y Leon et de la Galice, côté castillan. Le nord-ouest de l’Espagne, loin des flux touristiques et des plages méditerranéennes. En zone verte du point de vue du SPF Affaires Etrangères, du moins à l’heure à laquelle j’ai vérifié…

Je me plonge à l’instant dans un ouvrage certes recommandable, mais publié lors d’un siècle révolu. Donc, en 1998, Hugh Johnson écrit: El Bierzo, région du nord de Leon, délimitée en 1990. Voilà, c’est tout. Quant au cépage mencia, entre malbec et merlot, il n’y a rien, nada. Un peu plus récemment (guide publié en 2005), José Peñin indique que Bierzo compte 45 Domaines, pour une production de 50.000 hectolitres de vin, destinée à 94% à une consommation locale, hispano-espagnole. Bref, pas de quoi fouetter un gato.

Le temps s’écoule. J’en reviens à des lectures contemporaines. En 2020, le même José Peñin compte 77 Domaines en Bierzo, plus de 80.000 hectolitres produits et surtout 37% de vins exportés. Les exportations ont donc été multipliées par 10 en quinze ans. Hugh Johnson écrit à présent: Bierzo, mencia grapes on slate soil make crunchy Pinot-like red. Best sites are high altitude, made without much oak. Styles/quality are uneven. Best advice: follow the producer. Look for DESCENDIENTES DE J. PALACIOS, RAUL PEREZ, plus Dominio de Tares, Losada (…).

Il s’est manifestement passé quelque chose. Retenez en particulier le nom de Raul Perez, j’y reviens un peu plus bas.

Quelques mots d’abord au sujet de la mencia (avec l’accent tonique sur le i), cépage de Castille, sans doute originaire de la région de Salamanque et que l’on retrouve également au Portugal, sous le nom de Jaen. A vrai dire, ce raisin méconnu et mystérieux a été associé au cabernet franc, au pinot noir, parfois même au grenache. Quod non. Les études ampélographiques les plus récentes excluent toutes ces possibles parentés, vu que les ADN respectifs n’ont rien à voir les uns avec les autres.

Outre Bierzo, la mencia pointe le bout de son sarment en Galice toute proche (appellations Ribeira Sacra, Valdeorras, Monterrei) et en Dão, du côté lusitanien. Ce n’est pas un raisin facile: le vigneron a tout intérêt à être attentif pour vendanger au moment exact qui permettra d’équilibrer alcool et acidité, les vieilles vignes se chargeant quant à elles de limiter naturellement les rendements.

Qu’est ce qui est supérieur à une mencia de Bierzo ? Deux mencia de Bierzo. La comparaison est rendue aussi pertinente que possible: même millésime (2018) et même degré alcoolique (13,5%). Les similarités l’emportent sur les différences: tout est dans la nuance.

Pour commencer, voici la mencia du Domaine Maquina & Tabla. Autant le dire toute de suite: c’est un vin nature. Pour rappel, cette caractéristique n’est ni une raison pour le verser à l’égout en hurlant d’horreur, ni une raison pour lui ériger une statue, en entonnant un cantique. C’est juste une absence de sulfite ajouté.

Les lecteurs attentifs se souviendront que j’ai déjà fait goûter d’autres cuvées du même Domaine en février. Le fait est que les vins sont en général du type rock’n’roll en do majeur, ce qui constitue par la même occasion une mise en garde et une invitation à les goûter avant tout achat massif.

Oriol Illa et Susana Pastor sont toujours oenologues et toujours catalans. Ils se sont exilés à l’autre bout de l’Espagne dès 2012 pour y rechercher des vignobles particulièrement anciens, qu’ils louent à des dames âgées, parmi lesquelles une certaine Leonila. La cuvée s’appelle Laderas de Leonila, en français “Les coteaux de Leonila”. On pratique la biodynamie, mais les étiquettes -au demeurant très personnelles- n’en pipent mot.

Laderas: la dégustation

Couleur dense et jeune, reflets violacés. Nez sur la cerise et le cacao. Nuance d’encens. Bouche peu tannique, nordiste et atlantique, évoquant le cabernet franc. Vin sérieux et frais. Moins rock’n’roll que les autres cuvées du Domaine. Plus on goûte, plus l’élégance prend le dessus sur une légère rusticité initiale. Beaucoup d’énergie. La vinification “nature” me paraît indétectable.

Maquina & Tabla, Bierzo, Laderas de Leonila 2018 – magasin

Revenons-en à Raul Perez. Né en 1972, tout petit déjà, il batifole dans les vignobles familiaux, en en temps où les vins n’étaient même pas mis en bouteilles. Doté d’un cerveau de belle facture, il envisage de faire des études de médecine, mais, sous une légère pression familiale, il entame plutôt des études d’œnologie et les réussit. Revenu au Domaine, il met en oeuvre progressivement une série de changements puis bénéficie des conseils d’Alvaro Palacios, l’homme qui a fait sortir Bierzo de l’anonymat.

Raul Perez en version sauvage

Mais Raul ne copie pas le “style Palacios”, il développe le sien, à base d’une dose magistrale d’intuition. Il travaille en biodynamie (sans mention sur les étiquettes). Ses vins sont remarqués, en Espagne, puis partout sur la planète. Il est invité à conseiller une belle série de Domaines, en Espagne et ailleurs. Ses cuvées haut-de-gamme accumulent les récompenses. En mars 2019, le magazine anglais Decanter pose la question qui tue: Is Raul Perez the world’s best winemaker ? Sacré parcours…

Bien sûr, les cuvées haut-de-gamme se négocient à des tarifs proportionnels à la rareté des flacons et à la notoriété de leur géniteur, néanmoins sans excès risible: comptez € 50 à € 60, tarif chez l’importateur en Belgique. Mais il y a une excellente nouvelle portant le joli nom de Ultreia Saint-Jacques. 100% mencia, 100% millésime 2018, 100% Raul Perez, proposée à un tarif particulièrement attractif.

Ultreia est une interjection moyenâgeuse qui exprime la joie, en particulier pendant le pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

Ultreia: la dégustation

Couleur dense et jeune, reflets violacés. Nez sur la cerise et le cacao. Ce qui précède n’est pas une coquille, mais l’expression d’un air de famille très marqué entre les deux cuvées. Néanmoins, autant j’évoque la fraîcheur et le caractère septentrional/atlantique de Laderas, autant je souligne chez Ultreia un tempérament légèrement plus sudiste, plus rond, plus fondu. Belle densité, texture policée. Quelque chose qui pourrait rappeler le pinot noir. Classicisme et équilibre. Le recours au bois est peu impactant (8 mois en grands foudres).

Raul Perez, Bierzo, Ultreia Saint-Jacques 2018: magasin

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Algueira: diaboliques coteaux galiciens

Ribeira Sacra. C’est l’Espagne, c’est la Galice, c’est déjà presque le Portugal, c’est atlantique et pentu en diable. La mer à gauche, la montagne à droite.

Ribeira Sacra, la rive sacrée, une appellation dont la renommée est récente, mais qui fait couler beaucoup d’encre, en particulier dans la presse anglophone, dans la foulée de l’appellation Bierzo, sa quasi voisine.

En tous cas, un paradis pour amateurs de cépages autochtones : brancellao, souson, caiño, merenzao (sisi, celui-ci vous le connaissez : c’est le trousseau du Jura). Et je ne cite ici que les cépages noirs.

Et puis la mencia, connue au Portugal sous le nom de jaen (voir le Dão de Niepoort, également en dégustation ce 08 février). Cépage presqu’inconnu au vingtième siècle, elle fait à présent partie des valeurs sures en péninsule ibérique. On l’a comparée au pinot noir et au cabernet franc. Le grenache a été cité comme un possible parent éloigné. Rien de tout ceci n’est démontré via la génétique. Finalement, il se pourrait bien que la mencia ne soit pas apparentée à un cépage plus célèbre.

Le Domaine Algueira est la création d’un ex-banquier devenu vigneron, Fernando Gonzalez. Il propose une large gamme de rouges élaborés avec les cépages susmentionnés, dont une mencia joven, c’est-à-dire sans élevage. C’est la carte de visite du Domaine, un vin pur fruit, pur cuve inox, de grande buvabilité.

Autant les mencia en provenance de l’appellation Bierzo peuvent se révéler rugueuses dans leur jeunesse, autant celle-ci mise sur la carte de l’accessibilité. Un 2016 juteux, précis et direct. Sans surprise, c’est plein de fruits rouges. Mais il y a plus : un joli floral, une minéralité bien tournée (yes ! j’ai réussi à la placer) et de bons petits tannins. Alcool : 12,5%

On peut en apprendre plus via un article dans la revue In Vino Veritas (décembre 2015) en cliquant ici.

En dégustation le samedi 08 février 2020.