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Allemagne – riesling – cinq vignerons

Une dégustation que j’ai eu le plaisir de proposer aux membres éminents du “groupe du mercredi”, lequel s’est réuni, avec une pointe de surréalisme, lors de ce premier …vendredi du mois de novembre.

Un thème qui me tient à cœur: sortir des sentiers battus franco-français et explorer comment s’expriment d’autres cultures du vin. C’est particulièrement délicat lorsque l’on quitte l’univers latin pour rejoindre les rives du Rhin et de ses affluents, la germanité étant souvent perçue comme particulièrement complexe et résolument différente. Une sorte de zone d’inconfort du dégustateur francophone.

Or, les vingt dernières années marquent l’émergence progressive de vins allemands qui reprennent à leur compte le “modèle bourguignon” à quatre niveaux: vin régional, vin de village, premier cru, grand cru. Le modèle allemand traditionnel basé sur la richesse en sucres des raisins perd du terrain, année après année, en tous cas pour ce qui concerne les vins secs ou d’esprit sec.

Les vins secs sont dits “trocken” (ce mot figure toujours sur l’étiquette: pratique !): ils peuvent contenir jusqu’à 9 grammes/litre de sucre résiduel (à la condition de présenter une acidité élevée). Autrement dit, les vins allemands “trocken” ne sont pas si compliqués à comprendre pour un amateur habitué aux vins français. Et ça, c’est une bonne nouvelle !

Pour mettre en pratique, j’ai choisi cinq vignerons très réputés, chacun représentant sa région: Knipser pour le Palatinat (Pfalz), Dönnhoff pour la Nahe, Wittmann pour le Rheinhessen, Georg Breuer pour le Rheingau et Peter Lauer pour la Moselle.

Les vins sont servis par paire, une paire par vigneron.

Précision: la double majuscule GG sur une étiquette -ou gravée dans le verre de la bouteille- signifie Grosses Gewächs, c’est-à-dire grand cru: raisins provenant d’une parcelle précisément délimitée qui a démontré sur le long terme sa capacité à produire des vins complexes, originaux et susceptibles de s’améliorer en bouteille, après une garde de plusieurs années.

GG s’applique exclusivement à des vins “trocken”. Elle est attribuée par une association privée: VDP. En savoir plus ? C’est ici.

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Mise en bouche: Eva Fricke (Rheingau), Rheingau 2016

On commence par une mise en bouche, destinée à permettre l’identification du thème: à l’aveugle, mes excellents compagnons ont vite reconnu le cépage riesling et l’origine allemande. Bien joué !

Nez citronné intense, très pur: c’est en effet un riesling typique. Peu de complexité. Bouche franchement fruitée, dominée par une grande fraîcheur. Vin jeune, ne présentant pas de notes d’évolution. Equilibre magistral et jolie persistance. Il y a sans doute un petit peu de sucre résiduel, qui arrondit sans sucrer. Très réussi pour un vin simple ! Ma note: 15/20, note moyenne du groupe: 15,6/20.

Cette jeune vigneronne était déjà très au point lors de la vinification du millésime 2016. Depuis, elle est passée au stade “culte”. De plus en plus difficile de mettre la main sur quelques flacons.

Le palais est étalonné. Nous voici à présent équipés pour entamer avec détermination une ascension du Mont Germania par la face nord. Dix étapes, cinq paires de vins.

1. Knipser (Pfalz), GG Steinbuckel 2016

Nez plus discret que celui de la mise en bouche. Un peu de citron et quelques épices. Introverti mais intéressant. Progressivement vient le caillou. En bouche, minéralité un peu terreuse, plutôt austère. Zeste de citron vert. Belle longueur. Vin cérébral, avec du potentiel de garde. Racé, mais pas pour toutes les bouches. Ma note: 16,5/20, note moyenne du groupe: 15,1/20.

2. Knipser (Pfalz), GG Steinbuckel 2017

Nez plus ouvert, agrumes, un peu de floral. Assez joyeux, avec quelques morceaux de soleil dedans. Bouche superbement équilibrée ! Ce vin conjugue plaisir et cérébralité. La minéralité est en retrait par rapport au millésime 2016. Classique. La version plus affable de ce cru. Ma note: 16/20, note moyenne du groupe: 16,1/20.

3. Dönnhoff (Nahe), Tonschiefer 2013

Nez bien ouvert, typique du cépage. Citron épicé. Très léger pétrole. Bouche confortable, d’accès facile, comme une version apaisée de la mise en bouche. Bonbon violette. Pas très long. A boire dans les deux ans. Ma note: 15/20, note moyenne du groupe: 15,9/20.

4. Dönnhoff (Nahe), GG Hermannshöhle 2013

Surprenant: le premier nez m’amène chez Guffens-Heynen (chardonnay bourguignon)! Des notes de cognac. Puis vient le citron confit. L’ananas. La poire qui évoque le …chenin. Un peu de miel également. Le terroir domine le cépage. Difficile de reconnaître le cépage. Grande complexité. Bouche puissante, volumineuse et salivante: ce n’est pas de l’alcool, c’est de la matière (extrait sec). Pas pour qui recherche un vin aérien et délicat. Vin prêt à boire, pour les dix ans qui viennent. Ma note: 17/20, note moyenne du groupe: 15,4/20.

5. Wittmann (Rheinhessen), GG Aulerde 2011

Nez sur l’orange et la mandarine. Arrière-plan en forme de poire. En bouche, formidable colonne acide ! Belle verticalité, la structure domine l’aromatique. Puis vient l’abricot et l’amande. Notes d’évolution. Un profil tel que l’on peut s’y attendre. Ma note: 16,5/20, note moyenne du groupe: 16,3/20.

6. Wittmann (Rheinhessen), GG Morstein 2011

Couleur intense, presque dorée. Nez de poire Williams, avec une note oxydative. Quelque chose de sudiste. Un nez pour accompagner un dessert. Ici encore, le terroir invisibilise le cépage. La bouche est parfaitement sèche (ce qui surprend), salivante, pomme et poire, la note oxydative finit par disparaître ! Vin évolué, très original. Beaucoup de personnalité. Ma note: 17,5/20, note moyenne du groupe: 16,4/20.

7. Georg Breuer (Rheingau), Berg Rottland 2016

Nez fermé, puis vient un citron vert salé très dominateur. Une touche de romarin. Bouche qui communique tant le cépage que le terroir. Formidable tension acide. Grande longueur. Aucune concession. Difficile pour tout qui n’est pas amoureux de l’acidité. Finale très nette, tranchante et saline. Ma note: 17/20, note moyenne du groupe: 16,2/20.

8. Georg Breuer (Rheingau), Nonnenberg 2017

Nez intensément caillouteux; le citron se cache en coulisses. Ce vin pourrait être volcanique (ce n’est géologiquement pas le cas). Nez impérieux, dominateur et sans concessions. Bouche monstrueuse, parce que tous les éléments y sont présents au maximum ! Pamplemousse d’anthologie. Finale exceptionnelle, avec tension et salinité. Infanticide, potentiel considérable. Attendre au moins cinq ans. Peut-on faire meilleur que Berg Rottland, oui, c’est Nonnenberg ! Ma note: 18/20, note moyenne du groupe: 16,5/20.

9. Peter Lauer (Mosel), Neuenberg 2014

Nez qui combine la pierre (silex) et le citron, avec des notes fumées et miellées. Progressivement, toute la gamme des fruits: abricot, poire, ananas, agrumes, etc… Enfin, la cire. Quelle complexité ! Bien sûr, il y a un peu de sucre en bouche, mais l’équilibre est parfait grâce à une acidité très élevée. Vin cristallin qui finit absolument sec. Ma note: 17/20, note moyenne du groupe: 16,9/20.

10. Peter Lauer (Mosel), Neuenberg 2015

Un petit soleil atténue légèrement l’emprise caillouteuse. En bouche, le sucre est plus présent que sur le 2014. Néanmoins, la finale reste parfaitement sèche. Beaucoup de tension. La fameuse intensité légère qui signe les meilleurs vins de Moselle. Le plaisir à l’attaque et la droiture dans la finale. Très grand vin. Ma note: 18/20, note moyenne du groupe: 17,1/20.

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Ce que je retiens ? Les grands rieslings allemands ont une personnalité profonde, marquée par le terroir. Le cépage joue son rôle soit à l’avant-plan, soit à l’arrière-plan. Certains vins camouflent le cépage derrière un terroir dominateur. Celui qui craindrait de goûter dix fois la même chose est rassuré: les expressions sont pour le moins variées et diverses.

La colonne vertébrale acide est l’élément qui structure la plupart des vins. Ce n’est certes pas une surprise, mais un rappel utile: pour les vins secs, les acidités peuvent monter jusqu’à 8 voire 9 grammes/litre. Quelques grammes de sucre résiduel se chargent d’arrondir les angles de façon à proposer un équilibre du type: assez peu d’alcool (12% ou 13%), beaucoup d’acidité, un peu de sucre. Les finales sont sèches. Autrement dit, le sucre, lorsqu’il est perceptible, marque l’attaque du vin, pas sa finale. Cela facilite les accords gastronomiques.

Pour l’anecdote, les six derniers vins servis se retrouvent aux six premières places du classement. Il n’y avait pourtant aucune volonté de crescendo. L’ordre de présentation des paires était aléatoire. Disons que l’enthousiasme est venu progressivement.

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Allemagne, Rheingau, Rüdesheim & Kloster Eberbach, jour 12

abbaye cistercienne Kloster Eberbach
impressionnante collection de pressoirs

Difficile de traverser le Rheingau sans une étape à Kloster Eberbach, lieu essentiel dans la « création » du riesling. Abbaye cistercienne et vignoble du Steinberg, exemple très rare d’une parcelle désignée uniquement par son nom sans référence au village où elle se situe. Steinberg -et Johannisberg, à quelques kilomètres d’ici- ont une telle réputation qu’il est manifestement inutile de préciser plus avant. C’est donc Steinberg tout court et non Hattenheimer Steinberg.

Ce Steinberg s’etend sur 34 hectares et est entouré d’un mur assez haut, destiné à protéger les vignes du vent. On le compare parfois avec Clos Vougeot en Bourgogne.

le Steinberg, c’est de l’autre côté de cette porte

Une nouvelle œnologue a pris les commandes du Domaine en 2018, avec l’ambition de ramener les vins au sommet. Parmi les nouveautés, une cuvée issue des vignes les plus âgées au sein du Steinberg: cela s’appelle Zehntstück (littéralement: morceau d’un dixième) et 2021 en est le premier millésime. J’ai goûté et approuvé. Eh hop, quelques bouteilles pour la cave !

Comme ce n’est pas bien loin, petite balade dans le charmant village de Kiedrich, connu pour abriter le Domaine Robert Weil. Non, je n’y ai pas dégusté, les vins étant « cédés » à un prix qui outrepasse l’épaisseur de mon portefeuille.

Kiedrich
Domaine R. Weil, par l’arrière
c’est ici !

Le restaurant pour ce soir appartient à la famille Breuer. La nourriture y est tout-à-fait correcte, mais il faut accepter une ambiance qui oscille entre rue des Bouchers, karaoké teuton et fête permanente. On y sert des centaines de couverts avec une efficacité souriante. La carte des vins donne accès à la plupart des vins du Domaine Georg Breuer. Mais il y a mieux: une deuxième carte des vins intitulée « Raritäten » (dois-je traduire ?) laquelle remonte …jusqu’au début du XXème siècle.

allons-y et feuilletons !
oublions les prix (…) et notons le format 70 cl qui n’existe plus aujourd’hui du moins dans l’UE

Nous avons été sages et avons sélectionné Terra Montosa en millésime 2016. Le vin se goûte parfaitement sec et tout aussi parfaitement mûr. Surprise: il titre …11,5% ! Je suppose que l’acidité élevée cache un sucre résiduel significatif. Mais j’insiste, c’est un vin sec à la dégustation. Ah oui, j’oubliais, c’est un riesling.

à point