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Sulfité or not sulfité, that is the question

Voilà, vendredi 20h30, les quatre jurés (dont votre serviteur) s’apprêtent à comparer deux vins rouges de Loire. Pour une fois, il ne s’agit pas d’essayer de reconnaître ce qu’il y a dans les verres, mais simplement de décrire les différences et les ressemblances entre le vin classique (donc sulfité) et le même vin, en version « sans sulfites ajoutés » (ssaj).

Apprécions la subtile différence entre les couleurs de la charrette…

En l’occurrence, il s’agit d’un Chinon de chez Couly-Dutheil, en millésime 2020, portant le joli nom de « Les Chatelières ». La version classique est vendue € 11 alors que la version ssaj est proposée à € 13.

Nous goûtons, les commentaires fusent assez vite. J’ai résumé ci-dessous.

Q1: ces deux vins sont-ils vraiment identiques, à l’exception de l’ajout de sulfites dans l’un ?

R1: sans doute non et c’est dommage parce que cela rend la comparaison moins pertinente. La contre-étiquette indique un taux d’alcool de 13,5% pour le vin ssaj et de 14% pour le vin classique. Comme il s’agit d’une cuvée destinée à un distributeur en particulier (à savoir Le Lion – oui, celui qui rugit bizarrement depuis quelques jours), aucune information n’est disponible sur le site Internet du producteur. Le site Internet du Lion est ce qu’il est, un foutoir où il est impossible de trouver de l’information de qualité. Les deux bouteilles affichant le même nom de cuvée, on souhaite, par respect du consommateur, que ce soit le même vin, mais rien n’est certain.

Les bouchons sont eux aussi différents: un liège classique pour le vin …classique, un bouchon Nomacorc Select Green 300, fabriqué à partir de biopolymères végétaux dérivés de la canne à sucre pour le vin ssaj. Le bouchon comme élément du marketing vert.

Q2: la dégustation met-elle plutôt des ressemblances en évidence ou plutôt des différences ?

R2: ces deux vins nous ont paru fort différents l’un de l’autre. Le vin ssaj présente un nez assez éteint, avec des nuances cartonnées. En bouche, il se caractérise par son imprécision et par une faible énergie. Il semble avoir franchi son apogée et avoir commencé sa descente vers je ne sais où. Ce qui peut être agréable dans un vin ssaj, un fruit éclatant et joyeux, est absent. Par contre, le vin classique est équilibré et sympathique, si l’on accepte d’avoir affaire à un « petit calibre ». Il y a du fruit et de la structure, c’est un vin honnête à défaut d’être particulièrement intéressant.

Q3: la différence de prix est -elle justifiée ?

R3: de ce qui précède, le lecteur attentif aura déduit que ma réponse est négative. En mars 2023 et en l’état, le vin ssaj ne vaut à peu près rien (et certainement pas € 13) alors que le vin classique peut valoir les € 11 demandés par le distributeur.

Q4: à quoi joue-t-on ?

R4: excellente question, Philippe. Merci de l’avoir posée. On surfe sur la vague de la « naturalité », avec un cynisme qui peut laisser le dégustateur perplexe. Ce vin ssaj était peut-être vivant et amusant à l’été 2021, mais aujourd’hui (vendredi) il est aussi mort qu’il est possible de l’être. Je me demande comment un amateur néophyte, attiré par la « verdure » de l’étiquette, aura évalué son achat. A mon avis, le taux de réachat sera invisible sans l’aide du microscope.

Q5: peut-on se fier à cette dégustation comparative pour faire une croix sur les vins ssaj ?

R5: non. Ce serait incorrect de condamner avec autant de légèreté. D’aucuns me diront peut-être que la crédibilité de Couly-Dutheil en matière de vins ssaj est aussi microscopique que le taux de réachat ci-dessus.

Q6: qu’est-ce qui se passe le lendemain de la veille ?

R6: encore une excellente question ! Quel feu d’artifice ! Le jeu s’est en effet poursuivi, avec d’autres participants, le samedi après-midi vers 15h00. Je m’attendais à ce que le vin ssaj s’effondre complètement. Ô surprise, il paraît meilleur maintenant ! Le nez reste de mon point de vue peu sexy, avec des nuances de carton et de croûte de fromage, mais le fruit est de retour ! Une acidité un peu croassante mais pas de déviation aromatique. C’est une résurrection inattendue et déconcertante. Toujours pas le grand fruit, éclatant et joyeux, mais traiter cette version ssaj de cadavre paraît à présent excessif.

Conclusion (provisoire):

Faut-il en déduire que les vins ssaj doivent être ouverts 12 ou 24 heures avant consommation ? Si c’est oui, quel consommateur va le faire dans la pratique ?

Faut-il en déduire que les vins ssaj sont imprévisibles, bons lorsque l’âge du capitaine est un nombre pair et mauvais quand la pleine lune s’absente ?

Quelle justification pour la différence de prix ? Il s’agit manifestement de segmenter la clientèle, en partant du principe que le « naturiste » est prêt à payer son vin plus cher parce qu’il est ssaj. Less is more.

Dans tous les cas, pour € 13, je préfère le Chinon Les Granges de Bernard Baudry.

PS: cet article et cette dégustation trouvent leur source ici: https://les5duvin.wordpress.com/2023/02/01/sans-soufre-cest-plus-cher/

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Bernard Baudry, l’incarnation du Chinon

Matthieu et Bernard Baudry

Bernard Baudry recherche la dimension soyeuse et civilisée des chinons, tout en restant au plus près de leur expression de terroir. Cette démarche qu’il poursuit désormais avec son fils Matthieu, se double d’une certification bio. Le Guide des meilleurs Vins de France, édition 2020. Le Domaine est noté **.

Grande famille de Cravant, les Baudry travaillent en duo: Bernard s’entend à merveille avec son fils Matthieu. Ils ont bâti leur réputation sur des cabernets francs de garde, séveux, denses et longs, dans un domaine qui compte 30 hectares dont deux de blancs. Le Guide des Vins bettane+desseauve, édition 2019. Le Domaine est noté ***.

Cap sur la Loire et les chinons du Domaine Bernard Baudry.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une précision: la cuvée dite « Domaine » n’est pas la cuvée d’entrée de gamme, ce statut étant plutôt l’apanage de la cuvée « Les Granges », vin fruité et gourmand à déguster dans sa jeunesse. « Les Granges » est issu des vignes plantées dans les alluvions constituées par la Vienne, affluent de la Loire.

Traditionnellement, la Loire est une région où l’effet millésime joue un rôle important. En pratique, les derniers millésimes ont tous été chauds: c’est vrai pour 2015, 2016, 2017 et 2018.

Comme d’autres villages ligériens, Chinon a été durement touché par le gel des 26 et 27 avril 2016. Comme l’hiver avait été doux, les bourgeons ont méchamment dégusté, avec comme conséquence une forte réduction des rendements et donc du volume. Par contre, dès la fin juin, les conditions météo ont été franchement favorables, ce qui a contribué à la remarquable qualité de ce millésime.

Dégustation comparative: « Domaine » 2016 et « Les Grézeaux » 2018

Le même vigneron, le même cépage (100% cabernet franc), quelques kilomètres entre les parcelles et pourtant, deux vins aux profils fort différents.

« Les Grézeaux » affichent une couleur dense, franchement violacée. Le nez est riche et met en appétit. La bouche est soyeuse, riche en fruits et surtout pulpeuse, presque comme la pulpe dans un jus d’oranges fraîchement pressé: une densité qui en met plein les papilles. Ce vin issu de vieilles vignes (+/- 60 ans) est élevé en barriques anciennes qui oxygènent sans marquer aromatiquement.

C’est bien mûr (13,5%) avec une structure tannique assez légère et beaucoup d’élégance. Difficile de ne pas sourire pendant la dégustation d’un tel vin, difficile de ne pas s’en resservir. A l’attention spécifique du lecteur qui me suit depuis de longues années, ce vin évoque le style des meilleures cuvées du Domaine Frédéric Mabileau (St-Nicolas-de-Bourgueil).

« Domaine » présente une robe d’un beau rouge franc, sans reflets violacés. Le nez est floral, poivré, précis. La bouche est structurée, construite sur le couple tannins/acidité. Le vin est dense et énergique, peu marqué par la douceur de l’alcool (12,5%). On sent qu’il est au début de la phase de maturité: aujourd’hui, je suggère de le carafer. Ce vin est sans doute plus cérébral que « Les Grézeaux », mais je soupçonne une grande capacité à vieillir harmonieusement, en se détendant progressivement. « Domaine » est un vrai vin ligérien, de profil plutôt nordiste, malgré la canicule de l’été 2016. L’équilibre est souverain.

A l’attention spécifique du lecteur qui me suit depuis de longues années, ce vin évoque le style des cuvées du Domaine de La Chevalerie (Bourgueil). Prenez cette comparaison pour ce qu’elle vaut: une simple indication, manquant certes de précision.

Constat: les vins étaient très bons hier soir. Ce midi, ils sont excellents ! Une fois de plus, une bouteille ouverte depuis une bonne douzaine d’heures se révèle supérieure à la bouteille ouverte à l’instant. Le cabernet franc respire et libère tous ses parfums …quand on lui en donne le temps !

« Domaine » 2016 est en stock chez moi au prix de € 13. « Les Grézeaux » 2018 est disponible sur commande au prix de € 17.

« Les Grézeaux » est en dégustation le samedi 13 juin. Attention, dégustation sur inscription préalable.

La ville de Chinon, aux pieds de la forteresse

Sont également disponibles sur commande: « Domaine » 2018 à € 14 et « Le Clos Guillot » 2017 à € 22. Ce dernier vin a obtenu la note de 17/20 dans Le Guide des meilleurs Vins de France, édition 2020. « Le Clos Guillot » est un voisin du Chêne Vert (Charles Joguet) et du Coteau de Noiré (Philippe et Pierre Alliet). Les vignes ont été plantées entre 1993 et 2000. L’élevage est effectué en barriques anciennes. C’est assurément un beau vin de garde, susceptible de vieillir 10 à 15 ans.