
C’est une tendance de fond. Les vignerons souhaitent préciser le lieu où naissent leurs vins. Une tentative pour se différencier et pour capitaliser sur la notoriété d’un quelque-part. Quand on prononce le mot Nuits-Saint-Georges, la magie opère. Ce n’est plus un pinot noir bourguignon, c’est un Nuits-Saint-Georges ! Pour le meilleur et pour le pire. Ajoutons-y la mention du premier cru Les Damodes, qui jouxte Vosne-Romanée, et c’est l’orgasme du là-et-pas-ailleurs. Les Damodes, ce sont 8 hectares de géographie sacrée.
A dire vrai, ce n’est qu’exemple parmi tant d’autres. Mais il faut reconnaître que le modèle bourguignon (vins régionaux, vins communaux, vins issus d’une parcelle premier cru, vins issus d’une parcelle grand cru) s’impose progressivement dans toute l’Europe. C’est assurément vrai en Allemagne où les étiquettes des vins secs de noble extraction mentionnent de plus en souvent un nom de commune suivi par un nom de parcelle. La notoriété de ces lieux germaniques n’est aujourd’hui pas bien grande, en tous cas dans nos contrées latino-francophones. Mais le train est lancé et viendra le moment où nous prononcerons avec délectation Bockenauer Felseneck pour désigner un riesling sec du village de Bockenau (en région Nahe) et de la parcelle grand cru Felseneck.

Venons-en à l’Italie et plus précisément à la Toscane puisque c’est le thème de cet article. Chianti Classico. Une zone créée par les dieux du terroir il y a bien longtemps déjà (un Grand-Duc Médicis est passé par là au XVIIIème siécle). Classico c’est le cœur historique du Chianti par opposition à tous les autres Chianti que je qualifierais volontiers de non-Classico. Ce n’est pas que ceux-là sont toujours moins intéressants, mais on y trouve de tout et en particuliers des tonnes d’ersatz qui n’ont de Chianti que le nom. Que voulez-vous, chère Madame, c’est dans la nature humaine de jouer la carte de l’opportunisme et, en quelque sorte, celle du plagiat.
Jusqu’il y a peu, les vins du Chianti Classico se racontaient en particulier par leur élevage: les meilleurs fruits cueillis sur les vignes les plus anciennes se destinaient naturellement, après un long passage en tonneaux à la durée règlementée, à la prestigieuse cuvée Riserva. Fort créatifs, nos vignerons toscans y ont ajouté en 2013 la notion de Gran Selezione. Mieux que Riserva, encore plus prestigieux, comprenez encore plus cher. Une segmentation par le prix, une hiérarchie, le vin dans le sens vertical.
Le sens vertical ? Mais ne pourrait-on pas réfléchir au sens …horizontal ? Alors oui, à l’été 2021, nos vignerons toscans se sont décidés à subdiviser le Chianti Classico en 11 zones de type communal. Elles sont illustrées sur une carte, plus haut, encore plus haut, ça y est vous êtes arrivés.
Pour être précis, la commune de Greve a subi l’ablation de Panzano, Lamole et Montefioralle, chacun de ces hameaux souhaitant sa propre dénomination. Idem pour Vagliagli dont le territoire appartient à la commune de Castelnuovo Berardenga. Dans le même ordre d’idées, San Donato in Poggio n’est pas une commune, mais une partie de la commune de Barberino Tavarnelle. Je m’arrête là avant de me noyer dans les subtilités de la géographie toscane.
Il me semble que la mention Gaiole ou Panzano sur une étiquette va toucher une corde sensible chez l’amateur, va déclencher une petite lueur d’envie. Pour Vagliagli ou San Casciano, les vignerons locaux vont devoir s’armer de patience et investir dans ce qui fait la spécificité et l’intérêt du lieu-de-chez-eux. Je suppose que certains vignerons préfèreront ne pas mentionner ces nouvelles dénominations complémentaires pour éviter d’égarer le consommateur.

Riecine, c’est 100% commune de Gaiole. Sur l’étiquette du millésime actuel, rien ne le revendique avec vigueur et fierté. Nous verrons bien comment se présenteront les étiquettes futures. Mettre l’accent exclusivement sur le nom du Domaine ou compléter le message en affirmant son origine communale ?
A propos, ce Riecine Chianti Classico 2020, en provenance de la commune de Gaiole, se goûte vraiment très bien. C’est un vin subtil, équilibré et expressif. Le fruit est pur et intense. Fine acidité salivante. Ce 100% sangiovese se contente d’un très pertinent 13% d’alcool (le millésime 2019 trouvait son équilibre à 14%). Vin d’altitude (450-500 mètres) issu de vignes qui peuvent commencer à se décrire comme vieilles (25 ans). 14 mois d’élevage en tonneaux usagés et en foudres. La mise en bouteilles est donc très récente.
Je vous invite à en acquérir quelques flacons dans le magasin. Le risque de déception me paraît négligeable, voire minusculissime.
