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La dégustation est clandestine

On se croirait revenu au temps de la prohibition: déguster chez l’importateur est soit impossible, soit contraint les participants à se réfugier dans des arrière-cuisines sans fenêtres, loin des clients qui pourraient apercevoir des humains qui goûtent ensemble, sans masque (forcément) et donnant l’impression de passer un moment agréable. Une délation est si vite arrivée…

Les circonstances difficiles ont le chic pour donner encore plus de valeur aux moments fugaces pendant lesquels la pandémie nous fout la paix. La dégustation est clandestine et, d’une certaine façon, cela contribue à la rendre précieuse. Voici quelques traces.

Marc Hébrart (Mareuil-sur-Ay), Coteaux Champenois, raisins principalement issus du millésime 2016, chardonnay 100%: le nez évoque clairement le Champagne. En bouche, la malolactique non-effectuée a sans doute pour objectif de faire oublier l’absence de bulles. C’est un vin délicat, introverti, doté d’une jolie persistance. Néanmoins, cela me semble manquer un peu de fraîcheur et de minéralité. Comme c’est vendu à un prix supérieur à celui d’un bon Chablis 1er cru, je préfère réserver mes sous à ce dernier.

André Bonhomme, Bourgogne, Viré-Clessé Les Brenillons 2019, chardonnay 100%: issu d’une petite récolte, le vin est conforme au style de l’appellation et du producteur, combinant de la rondeur et du gras (13,5%) avec une tension de bon aloi. Le boisé est très bien intégré (foudres). C’est un vin joyeux, avec une salinité appétissante. Bon candidat, le jour venu, pour se trouver une belle petite place sur le tarif d’Anthocyane. € 18.

André Bonhomme, Bourgogne, Viré-Clessé Hommage à Gisèle Bonhomme 2018, chardonnay 100%: la cuvée “haut de gamme du Domaine, produite grâce à des vignes quasi centenaires, sur les meilleurs terroirs de Viré-Clessé. Le boisé est ici sensiblement plus présent, le vin est gras, structuré …et fermé à double tour. Aujourd’hui, c’est un infanticide dans toute sa splendeur. Attendre 2 ou 3 ans me semble fort opportun. Difficile à vendre en l’état, parce que beaucoup dépend de la confiance que l’on fait au potentiel de la bête. € 45.

Jürgen Leiner, Allemagne (Pfalz), Chardonnay 2014: très bel exemple d’un vin qui, sur papier, n’a rien pour me plaire: 100% fûts neufs (600 litres) et alcool à 14,5%. Et pourtant, le résultat est bluffant: un nez complexe sur le beurre, les agrumes et le cognac; une bouche, confortable et sensuelle, qui “truffe” avec classe. C’est aromatiquement extraverti, sans verser dans l’exhibitionnisme. Je ne conseille pas ceci aux amateurs de Chablis cisterciens, les amateurs de chardonnays baroques seront quant à eux comblés. Biodynamie certifiée par DEMETER. C’est prêt à boire et le prix est intéressant: € 23. Je le place sur le tarif d’Anthocyane dès à présent. Attention, quantités vraiment très limitées.

Domaine La Falize, Belgique (Namurois) 2018, chardonnay 100%: vin élaboré par Peter Colemont, le vinificateur du Clos d’Opleeuw. On est clairement au sommet de la qualité telle qu’élaborée en Belgique. Seul bémol: ce sont de très jeunes vignes (plantées en 2012 et 2015). Grande finesse, aérienne et/ou évanescente. Le boisé marque la finale en durcissant celle-ci, ce qui conduit le vin à paraître légèrement tannique. On dira qu’il faut lui accorder un peu de temps pour s’harmoniser. Le prix est élevé et la production confidentielle.

Brendan Stater-West, Saumur Blanc, Les Chapaudaises 2017, chenin 100%: un Américain qui a travaillé (travaille encore ?) avec Romain Guiberteau, un chef de file pour les blancs à Saumur. Le nez est boisé, beurré, avec de fines nuances végétales (fougère, romarin, …). Bouche marquée par le bois, beaucoup de fraîcheur et d’élégance. Vin sérieux, chic, avec beaucoup d’extrait sec. On n’est pas ici pour rigoler. Je me demande si ce vin pourrait “sécher” au vieillissement. Compter € 36,50 en Belgique.

Huet, Vouvray, Le Mont demi-sec 2019, chenin 100%: commençons par dédramatiser le qualificatif qui tue: “demi-sec“. Non, ce n’est pas une insulte et non, cela ne condamne pas le vin à rester éternellement dans nos caves parce que l’on ignore avec quoi le servir. Analytiquement, ce vin est construit sur un alcool à 13,5% avec 16 grammes de sucre résiduel (par litre). Les acidités étant très élevées, ce sucre est peu, vraiment peu, perceptible. Il anime et complexifie la bouche, avec une finale nette, précise et sèche. Dans 10 ans, ce vin sera sans doute perçu comme totalement sec. Cette cuvée est particulièrement ouverte et accessible, ce qui nous change de millésimes antérieurs du Mont. Cela n’engage évidemment que moi, mais cela me semble assez supérieur au Saumur décrit ci-dessus. C’est un joyau, un chef d’œuvre de pureté et de délicatesse. Pas moins. Je constate a posteriori que La Revue du Vin de France le note à 96 (équivalent à 18/20). Vignoble conduit en agriculture biodynamique. Je le mets au tarif d’Anthocyane dès que possible. Prix à confirmer, comptez +/- € 40.

Laurent Combier, Crozes-Hermitage, cuvée “Laurent Combier” (a.k.a. la cuvée L, avec l’étiquette violette) 2019, syrah 100%: cette cuvée de jeunes vignes (avec quelques achats de raisins, vu la forte demande) a l’ambition affichée d’être dans le plaisir, l’accessibilité, le fruité et la gourmandise. Elevage 70% œuf béton et 30% bois ancien. Je suis perplexe. La bouche est généreuse, voire chaleureuse (14%), avec pas mal de tannins, comme si on avait rajouté du carignan ou du mourvèdre dans les cuves. A mon palais, ce n’est pas très “syrah”. Une touche de chocolat pour compléter mon désarroi. Est-ce vraiment l’entrée de gamme de Combier ? L’ai-je mal dégusté ? Un effet de séquence ? A revoir.

Le Pas de l’Escalette, Languedoc, Les Petits Pas 2019, assemblage de grenache, de syrah et de carignan: ce vin figure sur le tarif d’Anthocyane depuis un bon moment. Le regoûter me rappelle pourquoi je l’ai sélectionné: frais, précis, nuancé, délicieux. Si vous cherchez un bon rouge, capable de se sortir de situations très diverses et qui ne décevra personne, vous avez trouvé ! Pour aujourd’hui et aussi pour demain. Au tarif d’Anthocyane au prix de € 14.

Riecine, Italie (Toscane), Chianti Classico 2019, sangiovese 100%: le style est plus proche de celui de 2017 que de celui de 2018 et c’est une bonne nouvelle. Pas que 2018 fût décevant, mais il était atypique et aurait sans doute dérouté les amateurs des vins du domaine. Ce 2019 a beaucoup de tout (richesse, maturité, arômes, sensualité, fraîcheur) et arrive avec maestria à équilibrer et harmoniser tous ces éléments. Se goûte comme une évidence. On repose le verre et on sait instantanément que tout est OK. Bravo ! Sera au tarif d’Anthocyane dès que possible, au prix de € 19,50.

Riecine, Italie (Toscane), La Gioia, Rosso Toscana 2017, sangiovese 100%: changement de catégorie, pour ce “supertoscan” élevé 30 mois en fûts. Vignes de 40 ans, sur parcelles à 450/500 mètres d’altitude. La bouche est soyeuse, luxueuse, irrésistible, avec de la fraîcheur et un faible impact du bois. C’est incontestablement très bien réalisé. On ressent les 14% d’alcool. Prix aux alentours des € 50.

Riecine, Italie (Toscane), Riecine di Riecine, Rosso Toscana 2017, sangiovese 100%: comparaison extrêmement intéressante avec le précédent. LA différence entre eux ? Elevage de 3 ans en œuf béton. Donc, pas de bois. Vignes de 45 ans, sur parcelles à 450/500 mètres d’altitude. Le nez est subtil, intense et délicat, avec une pointe de tomate. La bouche est concentrée, assez tannique, juteuse et ne laisse pas ses 14% d’alcool jouer les trouble-fêtes. C’est incontestablement très bien réalisé, avec une âme supplémentaire par rapport au précédent. Il y a un public pour l’un et pour l’autre vin, mais je pense que rares seront ceux et celles qui les trouveront d’intérêt égal: je me range sans le moindre doute dans le camp “Riecine di Riecine”. Prix légèrement supérieur à € 50.

Canalicchio di Sopra, Brunello di Montalcino, La Casaccia 2015, sangiovese 100%: en simplifiant un peu, le monde anglo-saxon considère que l’appellation Brunello di Montalcino se situe un cran au-dessus du Chianti Classico. Ce qui me paraît à peu près certain, c’est que les Brunello sont, toutes choses étant égales, plus riches, plus puissants, plus énormes, plus tanniques. Mais ni plus subtils, ni plus équilibrés, ni plus spirituels. On peut bien entendu adorer ça. A condition d’avoir le portefeuille bien accroché. Cette cuvée parcellaire, élevée 3 ans en botti (foudres) est un digne représentant de ce que Brunello produit de meilleur. Le nez donne envie, l’énorme bouche n’est heureusement ni alcooleuse, ni trop élevée. Cela dit, cela coûte la bagatelle de € 115. J’échange volontiers une bouteille de La Casaccia contre deux bouteilles de Riecine di Riecine.

L’Inconnu de Saint-Emilion Grand Cru 2014: inutile de citer le nom du Domaine: ce vin n’est pas -et ne sera pas- sur le tarif d’Anthocyane. C’est dur, sec, rachitique, probablement à l’agonie. Le fruit s’est sauvé, l’aromatique résiduelle me paraît un peu impure. Aïe.

Domaines Lupier, Espagne (Navarra), El Terroir 2014, grenache 100%: ce vin est adulé par la presse spécialisée dans son pays d’origine. Il ne bénéficie malheureusement pas de la même notoriété sous nos latitudes. C’est bien dommage, parce que ce vin pyrénéen est un produit d’exception, élaboré avec de très vieilles vignes (les plus anciennes ont été plantées en 1903), en altitude (700 mètres !). Malgré l’absence de label sur l’étiquette, c’est de la biodynamie. Anthocyane a vendu le millésime 2015 avec un certain succès, mais je me demande si je ne préfère pas encore ce 2014. La pureté du fruit est magnifique, le fondu est magistral, la fraîcheur évidente et la longueur convaincante. L’esprit du pinot noir en arrière-plan. Servez ce pur grenache au milieu d’une cohorte de Châteauneuf-du-Pape -tous bien plus chers- et on verra le résultat. Je suggère de le servir légèrement rafraîchi, pour placer le curseur de l’alcool (14,5%) au bon endroit. 94 pour le Wine Advocate ex-Robert Parker. 94 également pour le Guia Peñin. Sera rapidement au tarif d’Anthocyane, au prix de € 19,50. Attention, quantités limitées.

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Le saumon de Sven Leiner

Flirter avec ce saumon mariné à l’huile de sésame, piment, miel, coriandre, “fish sauce” et ail constituait un bel exercice matrimonial pour ce riesling allemand sec, d’un style assez riche malgré un degré alcoolique sympathiquement limité à 12%.

Ô oui, joli mariage. L’acidité du riesling répond bien au doux-piquant extrême-oriental du plat. Une acidité qui ne fera néanmoins fuir aucun palais peu habitué aux acidités extrêmes de certains vins allemands. Une acidité enrobée. Le style du vin est d’une certaine façon assez proche de ce que produisent les meilleurs vignerons alsaciens. En cela il constitue une bonne introduction au monde fascinant du riesling allemand (un conseil: ne me lancez pas sur ce thème ou soyez sûr de disposer de quelques heures…).

Le Domaine de Sven Leiner est installé à Ilbesheim, village palatin situé à 25 kilomètres de Wissembourg, la porte du vignoble alsacien. C’est un Domaine bio et biodynamique, certifié par Demeter. Il symbolise son attachement à la biodiversité en parsemant ses étiquettes d’insectes locaux, comme cette mignonne guêpe parasitoïde de la famille des Ichneumonidae.

Le riesling Göcklingen 2015 est ce que l’on appelle un “ortswein” (à peu près l’équivalent d’une appellation “villages” en Bourgogne), Göcklingen étant le nom de ce village, voisin d’Ilbesheim. Je l’ai trouvé plus concentré que délicat et plus pêche que citron.

Sur commande chez Anthocyane pour € 18,50.