
“9 mois d’hiver, 3 mois d’enfer” est un dicton qui résume la météo de la vallée du Douro, dans le nord du Portugal. C’est une terre extrême, bien connue pour être créatrice du Porto. Le style des rouges “non-Porto” de cette région est habituellement marqué par une certaine chaleur qui se mesure au travers de pourcentages alcooliques élevés, entre 14 et 15%, voire plus. Lorsque le vin est boisé et fortement extrait, le dégustateur peut se retrouver en face d’un véritable Porto sec, à l’équilibre fatigant. La première gorgée est énorme, impressionnante, mais la bouteille a bien du mal à se vider.
Lorsque l’objectif est d’élaborer un vin sec, le vinificateur est confronté à une équation simple: le degré alcoolique du vin est un équivalent du sucre contenu dans le raisin au moment de la vendange. Pour le dire autrement, chaque pourcent d’alcool est la résultante de +/- 17 grammes de sucre par litre de jus. Par exemple, un vin sec qui titre 13% est le fruit (sic) d’un jus de raisin contenant approximativement 221 grammes de sucre par litre.
La quantité de sucre présente dans un raisin lors de la vendange dépend de nombreux facteurs: l’ensoleillement, le cépage, la surface foliaire (plus il y a de feuilles, plus il y a de photosynthèse, plus il y a du sucre), etc…La date à laquelle une parcelle est vendangée dépend d’équilibres complexes: maturité du fruit, maturité des pépins et des peaux, niveau des acides, météo, etc… Cette date est fonction de décisions prises par le vigneron, sur base de mesures et d’une solide dose d’intuition. Au pire, on vendange parce qu’ici on a toujours vendangé vers le 20 septembre: c’est évidemment plus facile à organiser, mais le résultat peut se révéler insatisfaisant.

Luis Seabra est assurément un homme de décisions: il sait ce qu’il veut et surtout ce qu’il ne veut pas. Pour éviter les alcools élevés, il va choisir les parcelles, les dates de vendanges et les techniques de vinification à sa façon. Pour résumer l’affaire crûment, ce Xisto Illimitado titre 12%. C’est vraiment -très- peu dans le Douro.
Ce Xisto Ilimitado ne ressemble donc pas beaucoup à ses cousins: le fruit se soumet à la minéralité. Un tel vin peut surprendre, voire décontenancer. On est sur le terrain de la haute-couture, qui ne s’embarrasse pas d’études de marché, lesquelles sont bien utiles pour le prêt-à-porter.

En dégustation, le vin présente un profil assez sévère. Le nez combine habilement des notes pierreuses et torréfiées (pourtant il ne s’agit pas de bois neuf: l’élevage est réalisé partiellement en fûts de chêne usagés et partiellement en inox), la bouche fait preuve de beaucoup de finesse, dans un univers qui me fait penser au cabernet franc de Loire ou à la mencia espagnole. L’acidité est plutôt élevée. Il y a de la terre, de la pierre et de la fumée. Tannins élégants. Le végétal joue un rôle non négligeable, en particulier à cause d’une vinification en vendange entière, c’est-à-dire conservant tout ou partie des rafles du raisin. Ces rafles macèrent dans le jus, en compagnie des peaux et des pépins et contribuent ainsi à la structure et à l’aromatique du vin.
La longueur du vin, sa persistance aromatique, est absolument remarquable et signe la qualité des terroirs de schiste (xisto = schiste) traduits dans cette bouteille. Ce vin parle certes à voix basse, mais qui l’écoute avec attention vit un moment de grande intensité.
Je n’ai pas encore évoqué les cépages, mais la liste est longue: touriga franca, tinta roriz (tempranillo en Espagne) et tinta amarela jouent les premiers rôles: ensemble, ils représentent 70% de l’assemblage. Celui-ci est complété par rufete, tinta barroca, malvasia preta et donzelinho tinto. Les vignes sont relativement jeunes et proviennent essentiellement des communes de Covas do Douro, juste en aval du village de Pinhão et de Ervedosa do Douro, en amont de Pinhão.
Le vin est très peu sulfité, mais ne présente absolument aucune déviation aromatique: c’est du travail de précision.

Si vous êtes à la recherche d’un vin à forte personnalité, qui ne laissera personne indifférent, Ce Xisto Ilimitado est un très bon candidat. Je pense que le vin suscitera beaucoup de sympathie …et quelques détracteurs. En tous cas, la conversation sera animée ! Je recommande vivement un passage par la carafe. Ne pas servir trop frais, sans quoi le vin pourrait se durcir.
Ah oui, Luis Seabra ne vient pas de sortir de l’anonymat: il a créé son Domaine en 2012, après avoir été le vinificateur de Dirk Niepoort pendant une dizaine d’années: un sacré diplôme !
Luis Seabra, Douro, Xisto Ilimitado 2018 est disponible dans le magasin.
