19h30. Ixelles. Rue Washington. Il fait un froid de dinde (c’est comme un froid de canard, mais plus gros). Je pousse la porte d’un wine-bar à la mode. C’est plein à craquer de jeunes gens comme il faut, ça caquète dans toutes les langues. Je rejoins deux amis qui ont réussi à dégoter un tabouret. Une bouteille de vin blanc est déjà ouverte et entamée. Un bon moment en perspective.
Je suis resté debout parce qu’il n’y avait pas vraiment moyen de faire autrement. Je constituais un obstacle -un peu massif- qui empêchait le personnel du lieu de se mouvoir entre les tables à la vitesse souhaitée. C’est tendance. C’est charmant, c’est informel, c’est cool.
Je ne compte pas faire l’innocent, je sais où je suis: ici, c’est nature. Donc, mes préjugés sont dans les starting blocks. Ce vin blanc n’est ni déviant, ni vinaigré, ni oxydé, ni marqué par d’infâmes remugles. Cela ne sent, ni ne goûte le zoo. Pas de souris, pas d’écurie en plein été, pas de ferme mal entretenue. Bien. Mais est-ce du vin, tel que je le pratique depuis une bonne trentaine d’années ? Avec la meilleure volonté du monde, non. C’est un autre univers pour lequel je ne dispose pas des outils. Je me suis d’abord demandé s’il pouvait s’agir de très jeunes vignes et/ou d’un cépage interspécifique. Puis viennent le cidre, la bière blanche et le vin désalcoolisé. Il n’y a pas de colonne vertébrale, l’acidité se résume à une aromatique acidulée, c’est léger comme une plume sans rachis. C’est inoffensif et impossible à placer sur une carte géographique. Ni vice, ni vertu. Je me demande si je ne préfère pas l’eau pétillante.
Le vigneron n’est pas un bleu. Il élabore sous le nom du Domaine des Vignes du Maynes des vins qui bénéficient d’une bonne réputation. Sur cette bouteille-ci, le nom du Domaine n’est pas visible. C’est un Mâcon-Cruzille 2019, 100% chardonnay. Surprenant: sur le site Internet du Domaine, ce vin brille par son absence. Des raisins achetés ?
Ce n’est par ailleurs pas gratuit, on le trouve sur différents sites commerciaux à +/- € 28. Je n’ai pas noté le prix pratiqué par le wine-bar.
Lorsque nous sommes sortis, l’âge moyen de la clientèle a sévèrement chuté. Nous dénotions, nous, les dinosaures du Crétacé.
Nous avons été manger une pizza. J’ai eu l’idée lumineuse de combiner une pizza blanche aux anchois avec un rouge toscan. C’était très très mauvais. Un archétype de l’accord qui ne fonctionne pas. La pizza était fort bonne et le vin conforme à son étiquette. Mais la combinaison des deux était affreuse. Avec les anchois ? Sherry Fino !
22h30. Nous sortons de la pizzeria. J’apprécie la qualité et la profondeur du silence nocturne. Il fait un froid d’autruche.
6 réponses sur « Le cidre, la bière blanche et le vin désalcoolisé »
Philippe, j’ai énormément ri à la lecture de ta prose. Je partage ton avis sur les vins trop natures 😉😉😉. Immense cet article
Il me semble qu’il faut à la fois être ouvert à la différence et solide sur les principes de base. Ce n’est pas parce que c’est nature que c’est bon ! Ni mauvais d’ailleurs: il y a des exemples de vins nature réussis.
Ou simplification entropique ? Là est la question ! En tous cas on sent le vécu 😉
Yes !
Philippe, j’adore la description dans son ensemble!!!
Disons que cette description est authentique et qu’elle est très fraîche dans ma mémoire. Mais je commence à me demander si le vin nature va prendre le dessus. Ce serait la victoire d’un relativisme qui me fait peur: tout se vaut, rien n’est important. L’entropie simplificatrice dans toute sa splendeur.