
Sur la table du dîner, deux bouteilles se toisent. Elles se jaugent. Elles se connaissent bien pourtant, vu qu’elles sont nées dans la même cave, celle de la famille Arena à Patrimonio (nord de la Corse, entre Bastia et le golfe de St-Florent).
Les étiquettes de ces deux vins blancs sont sœurs, San Giovanni 2019 à gauche, Hauts de Carco 2019 à droite. Même vigneron, Antoine-Marie Arena fils d’Antoine Arena, même millésime, même appellation et même cépage, le vermentinu. Et deux vins au profil radicalement différent. On y reviendra.
Depuis 2014, le Domaine d’Antoine Arena s’est multiplié: le papa et son épouse ont conservé les vignes qui sont à l’origine de Morta Maïo, de Carco et du Muscat du Cap Corse. Leur fils aîné, Jean-Baptiste, est en charge du terroir de Grotte di Sole et leur fils cadet, Antoine-Marie donc, élabore entre autres les vins issus des Hauts de Carco et de San Giovanni.

On sait que certains restaurants étoilés essaiment et reçoivent des étoiles gastronomiques pour plusieurs lieux. Risquons alors une comparaison, puisque la famille Arena cumule 5 étoiles dans l’édition la plus récente du Guide vert de la RVF: ** pour Antoine, * pour Jean-Baptiste et ** pour Antoine-Marie. Jolie performance familiale, on se croirait chez les Borlée !
Le Domaine est certifié en bio, mais il choisit de ne pas le mentionner sur les étiquettes. Les doses de sulfites sont faibles, voire très faibles.

En dégustation, San Giovanni est un vin élancé, vif, au nez bien ouvert sur les agrumes et les herbes aromatiques. A l’aveugle, on pourrait penser à un albariño de Galice ou à un sauvignon de Styrie. Difficile de reconnaître un vin du sud, vu l’équilibre basé sur 12% d’alcool; difficile de reconnaître le vermentinu, en l’absence quasi complète des petits amers qui signent habituellement ce cépage. De fait, un très beau vin du sud pour ceux et celles qui préfèrent les vins du nord. Jeunes vignes, plantées par Antoine-Marie en 2013, élevage en cuves inox (pas de bois).
Le lendemain: le nez tangue entre minéralité et citron confit. Un instant, je pense à un riesling tendance Germanie. C’est énergique et appétissant ! Quelques petits amers apparaissent et contribuent au punch de cette cuvée.

Hauts de Carco est incontestablement plus riche, plus charnu, plus bourguignon en somme. L’aromatique est sur les agrumes (mandarine), la structure est aussi riche que fraîche. Grande concentration et texture qui fait penser à un élevage sous bois.
La richesse du vin n’est pas celle conférée par l’alcool (12,5%): c’est l’extrait sec qui mène la danse ! Quelle densité, quelle profondeur et quelle longueur ! Ce vin évoque, plus fort que San Giovanni, le lieu dont il est issu. Vignes âgées d’une bonne quinzaine d’années, élevage de 8 mois en demi-muids (contenance: entre 500 et 600 litres). Cette dernière précision m’a été fournie par Sandra Arena, que j’ai contactée parce que l’information disponible sur Internet ne me paraissait pas fiable.
Le lendemain: toujours bourguignon, dans le meilleur sens du terme. Au-delà des agrumes, de la pêche. C’est un vin majeur, le fameux « équilibre haut » qui combine beaucoup de tension minérale et beaucoup de matière.

En déposant les deux verres vides, j’ai philosophé un peu… Il me semble que la personnalité du vigneron et la vision du vin qu’il veut faire imprègnent profondément ces deux cuvées. Une comparaison me vient à l’esprit: Marjorie Gallet au Roc des Anges (Roussillon). Intuitivement, je pense que ces deux-là s’entendraient bien.
Antoine-Marie Arena, Patrimonio, San Giovanni 2019 et Hauts de Carco 2019 sont disponibles dans le magasin.
