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Meilleurs Vœux : un pinot noir belge à € 1.800

A l’occasion d’une intéressante dégustation de vins belges et parce que nous avions discuté du prix élevé de certains vins rouges, l’organisateur nous a transmis un extrait de la nouvelle édition du Guide des vins belges. C’est édifiant: il y a donc un Domaine belge qui commercialise un pinot noir au prix de € 1.800. Pour ce prix, vous recevez (je cite) une très belle bouteille lourde avec un bouchon recouvert de cire. Mieux, on vous offre également un coffret en bois.

De mon point de vue, l’auteur de ce vin a parfaitement le droit de le vendre au prix qui lui chante. A sa place, je me demanderais déjà quelle augmentation appliquer au prochain millésime. Par contre, je trouve maladroit que le Guide des vins belges gaspille une page pour mettre en évidence ce type de calembredaine: quant à moi, je ne propagerai pas le nom de ce Domaine pour éviter de lui faire une publicité sans objet.

Dans le meilleur des cas, cette histoire est une blague: le vin n’existe pas, c’est un produit imaginaire né dans le cerveau fertile d’un humoriste viticole. Je crains néanmoins que ce machin -à qui le Guide n’accorde qu’une note médiocre- n’existe vraiment…

Alors, pourquoi ne pas pousser le bouchon plus loin ? Au point où nous en sommes, pourquoi se refuser d’en rire ? Quoi que nous réserve le millésime 2023, il nous faut garder le sourire et une certaine distance avec les malheurs qui frappent notre planète fatiguée.

Concrètement, je me lance dans la mise sur le marché d’une gamme de vins dont l’immense potentiel ne vous échappera pas. J’ai confié les relations publiques à un bureau très chic qui m’a fourni le brillant communiqué de presse ci-dessous. Je vous souhaite une merveilleuse année 2023 et une agréable lecture !

Passionné par le marketing le plus outrancier et avec l’ambition de démontrer que tout est possible en notre époque farceuse, Philippe Fernand (c’est un pseudonyme, il tient à conserver l’anonymat) vous propose sa courte gamme de vins d’exception: Château Pataphysique I et Château Pataphysique II.

Château Pataphysique I

13 ceps ont été plantés, par une nuit de pleine lune, dans une terre volée pour moitié sur Musigny et pour moitié sur Lafite-Rothschild. Ces terres rares ont été longuement dynamisées dans un récipient en cuivre organique. Tant qu’à faire, les ceps ont été directement plantés dans ce dynamiseur. Celui-ci est déplacé d’heure en heure pour suivre le cours de l’astre solaire au plus près. Un haut-parleur diffuse en permanence un enregistrement peu connu de La Flûte Enchantée. Des incantations secrètes sont prononcées avec ferveur pour convaincre chaque cep de donner le meilleur fruit. Comme Philippe Fernand ne connaît rien à la taille, il ne taille pas. La fermentation des jus a été réalisée directement dans la bouteille en cristal qui contiendra le vin fini, après un élevage dont la durée sera déterminée par le nombre de grognements poussés par une grenouille malade, capturée sur la Côte Blonde. Les bouteilles sont closes par un bouchon en liège précieux, provenant d’un chêne tricentenaire.
Dégustation: il s’agit sans doute d’un rosé. Arômes délicats et subtils. Une touche de folie. Bouche transparente d’un grain extrêmement fin. Complexe à force de ne pas être complexe. Rien ne rappelle la vulgarité des vins classiques: une toute nouvelle façon de sublimer le jus de la treille.

Note: 97,25/100. Prix: faire offre à partir de € 10.013. Coffret en ébène et ivoire offert.

Château Pataphysique II

L’assemblage est un art que Philippe Fernand maîtrise comme personne: après avoir acheté une série de vins particulièrement chers et prétentieux, comme les grands nez de la parfumerie, il se plonge dans leurs arômes et commence à tout mélanger. Le résultat est profondément mystique et spirituel. Le millésime de Château Pataphysique II est calculé avec précision via une règle de trois aléatoire. Les bouteilles sont immergées dans le canal Albert lors d’une cérémonie très jolie à laquelle participe toute la jet-set limbourliégeoise. 13 mois plus tard, des plongeurs nus se chargent de récupérer les précieux flacons. Philippe Fernand pourvoit alors chaque bouteille d’une étiquette en parchemin, signée de sa main. Une couche de cire (volée chez Emmanuel Houillon) fait office de cerise sur le Château.
Dégustation: couleur pour laquelle le vocabulaire manque de mots: c’est entre cramoisi, vermillon et laiton pâle. On ressent immédiatement une grande diversité de terroirs et la contribution de chacun de ceux-ci à l’infinie longueur de ce vin unique. Une petite touche vaseuse rappelle le canal. La finale est un peu abrupte, à l’instar de la chute d’Albert le 17 février 1934.

Note: 99,99/100. Prix: l’art n’a pas de prix. Philippe Fernand flotte très au-dessus des questions matérielles. Un don conséquent à la Fondation PhF est néanmoins fortement apprécié.

Chatto Patafisik IV

Dernière minute: on nous annonce la mise sur le marché imminente d’une nouvelle cuvée dont le nom élégant communique avec force le positionnement spécifique. Patafisik IV a été créé dans un laboratoire ultra-secret construit en un point géo-miraculeux où les vents soufflent comme nulle part ailleurs. Imaginez un paysage paradisiaque où les forces cosmiques se rejoignent pour boire un dernier verre avant… Excusez-moi, je m’égare. Où les forces cosmiques se rejoignent et se conjuguent en un vortex énergétique volcanique méso-climatique inouï. Il ne nous est pas possible de révéler les secrets de fabrication, mais sachez que Patafisik IV sera proposé uniquement en jéroboam. Le flacon vide pèse à peu près 13 kilos pour plaire à une clientèle internationale aisée. L’étiquette est réalisée en or 24 carats, l’or ayant été volé chez un joaillier de la Place Vendôme. Il semblerait que le vin contienne une petite quantité de l’ADN de Philippe Fernand, ce qui confère une valeur unique à ce nectar. Comment l’ADN a été introduit est laissé à l’imagination des acheteurs. En tous cas, il s’agit incontestablement d’un effet-terroir exceptionnel.

Dégustation: nous n’avons pas goûté, mais sur base de l’information reçue, il semble certain que l’on a affaire ici au plus grand vin jamais produit. Multicolore, fluorescent, radioactif. C’est un assemblage de 173 cépages, chaque cépage ayant été fermenté puis élevé dans une poubelle en matière plastique à Haute Valeur Environnementale.

Note: 110/100. Prix: dérisoire par comparaison à l’expérience extraterrestre procurée par ce breuvage. Bien sûr, soyez conscients qu’il faut rembourser les investissements colossaux qui ont été consentis: laboratoire secret, campagne de publicité, lobbying au Parlement Européen, corruption des journalistes de la presse spécialisée, formation approfondie d’un service après-vente destiné à gérer les déceptions, acquisition des poubelles, sucre pour la chaptalisation, rémunération des voleurs d’or, etc…

Meilleurs Vœux !

2 réponses sur « Meilleurs Vœux : un pinot noir belge à € 1.800 »

Est-ce que la maison Fernand envisage un vin oxydatif à l’avenir?
Deuxième question: compte-t’il offrir aux clients potentiels de mêler eux aussi leur ADN à une cuvée?
Merci en tous cas Philippe de nous dénicher des perles sur un marché bien difficile à saisir.

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